Genèse et Expansion Territoriale de la ville sainte de Touba :
L'approche par le territoire est centrale pour comprendre Touba, qui a permis une "dispersion" des disciples avant un "reflux" et une urbanisation. L'idée d’”ensemencement" du territoire, de "dissémination" et de "récolte" est sous-jacente à ce processus. La dispersion des saints et l'enterrement de Cheikh Ahmadou Bamba à Touba marquent le territoire.
Rôle du Khalife et Contrôle Foncier :
Le khalife général se comporte comme le guide spirituel suprême et exerce un pouvoir foncier prégnant sur le sol urbain et ses extensions. Les khalifes successifs ont utilisé le contrôle foncier comme moyen de légitimation et d'affirmation de leur lignée familiale. Des quartiers entiers ont été attribués à des fils du fondateur et des faveurs foncières ont été accordées à des familles notables et des marabouts de deuxième et troisième génération. Thierno Diaw témoigne : "J'ai vu les "décisions" de mes propres yeux, c'est lui qui les a démarchées .. ensuite, il a appelé chacun des marabouts et lui a remis son attestation et le plan de son quartier". Cette autonomie administrative et de gestion foncière a fait de la terre un enjeu politique et commercial.
Organisation en Quartiers Lignages :
Après avoir préparé les villages lignages à l'urbain, le khalife les a transformés en quartiers de la ville, leur conférant un pouvoir de gestion foncière sur les terres attribuées. Cependant, les limites de ces quartiers ne correspondent pas toujours aux anciens terroirs.
Financement et Investissements :
Une tradition de financement et d'investissement par les disciples du monde entier contribue au développement de Touba. De nombreuses actions dans la ville sont attribuées au khalife, même si elles sont parfois le fait de l'État ou d'autres acteurs.
Statut Particulier et Relations avec l'État :
Malgré l'appartenance juridique des terres à l'État, Touba jouit d'un statut particulier, une forme d'"exterritorialité" reconnue de facto par l'État (interdiction faite à la douane de franchir la rocade, création d'une brigade de gendarmerie "spéciale"). Cependant, l'État maintient une présence discrète. Le compromis avec les autorités religieuses permet à Touba de bénéficier d'investissements de l'État.
Évolution Urbaine et Sécurisation Foncière :
L'appropriation de la ville par ses habitants passe par l'identification et la volonté de la rendre la plus grande et la plus belle. La sécurisation foncière est une motivation majeure pour l'effort immobilier des Toubiens. La spéculation foncière émerge malgré la politique de don de parcelles.
Concept de Territoire Appliqué à Touba :
La projection de la société maraboutique sur l'espace de Touba justifie l'utilisation du terme "territoire", défini comme "une portion naturelle et/ou anthropique de la surface terrestre (continue ou discontinue) sur laquelle s'exerce un effet de pouvoir débouchant sur son appropriation (matérielle et/ou idéelle) par un groupe humain quel que soit son principe d'identité (ethnique, politique, linguistique...)". La Figure 2 illustre Touba et ses satellites.
Rôle Historique des Concessions Maraboutique :
De petits quartiers ont émergé autour de concessions maraboutique entre 1927 et 1948, qui ont ensuite été intégrés à des entités plus grandes. L'étude vise à apprécier leur rôle dans la naissance du fait urbain et leurs stratégies actuelles d'insertion urbaine.
Pouvoir aux Quartiers Lignages et Gestion Foncière :
La seconde opération d'urbanisme (Serigne Abdoul Ahad) a généralisé le contrôle spatial concurrentiel, avec l'attribution de terrains par le khalife et les stratégies d'affirmation des lignages par la gestion de leurs quartiers. L'attribution ciblait notamment les fils de Cheikh Ahmadou Bamba qui n'avaient pas fondé de quartiers auparavant. La cession des terres au khalife ne posait pas de problèmes majeurs, illustrée par la formule : "quand quelqu'un te prête des yeux, tu regardes où il veut".
Reconnaissance Administrative des Quartiers :
La politique de compromis s'est poursuivie avec la reconnaissance administrative de la plupart des quartiers comme des "villages" autonomes sous l'autorité des lignages, intégrés au maillage administratif national.
Double Vision Territoriale du Khalife :
L'accès au khalifat peut être précédé de l'appropriation d'un quartier, obligeant le khalife à gérer à la fois son quartier et Touba-Mosquée, tout en pensant à la ville globale. Le quartier de tout khalife devient Touba-Mosquée, auquel s'ajoutent les nouveaux lotissements.
Mobilisation des Disciples par les Dahira :
Complexification de la Distribution Foncière et Dispersion de la Clientèle :
L'afflux massif de disciples et les limites des quartiers rendent difficile la satisfaction de la demande foncière. Les khalifes de quartier renoncent partiellement à leurs légitimités foncières anciennes, recevant de nouvelles dotations du khalife général, souvent plus éloignées des centres communautaires ("pentch").
Gestion Urbaine et Rôle du Lien Matrilinéaire :
La gestion urbaine privilégie souvent les cousins maternels du khalife pour les postes de chefs de village, reflétant l'importance du matrilignage dans le contrôle spatial.
Extension du Statut Particulier via la Communauté Rurale :
La création de la Communauté rurale de Touba en 1976 est interprétée comme une légitimation juridique de l'extension du statut particulier, malgré le maintien apparent des structures étatiques. Le pouvoir foncier du khalife s'en trouve élargi.
Réinterprétation du Titre Foncier et de l'Exterritorialité :
Le Titre foncier est devenu dans la représentation mouride le fondement d'un statut d'exterritorialité. L'État, malgré sa présence discrète, semble attendre son heure, tandis que la confrérie pense le piéger, mais est peut-être piégée elle aussi.
Croissance Urbaine et Exclusion :
La spéculation foncière tend à repousser les plus pauvres vers la périphérie, sans infrastructures. La structure multicentrée de la ville pourrait nuancer ce dualisme centre-périphérie.
Évolution des Relations Marabout-Disciple :
Dans les quartiers, les relations avec les marabouts évoluent vers des relations de voisinage plus simples, tandis que l'attachement à la ville globale se renforce.
Rôle des "Petits-Fils" et Appropriation de la Ville Globale :
La frange croissante de la classe maraboutique, les "petits-fils", s'appuie sur leur légitimité historique et utilise de nouveaux moyens (voyages, internet) pour promouvoir leurs quartiers et s'approprier la ville globale comme symbole unificateur.
Nature de la Source :
Ce document est un répertoire des archives de la sous-série 2G pour la période 1895-1940. Il liste les rapports mensuels, annuels et politiques produits par l'administration coloniale française dans divers territoires, dont le "Premier Territoire Militaire" et d'autres régions d'Afrique Occidentale Française (A.O.F.).
Informations Potentielles pour l'Étude de Touba :
Bien que Touba ne soit pas explicitement mentionnée dans les extraits fournis, ce type de répertoire indique la richesse des archives coloniales pour retracer l'histoire administrative, politique, économique et sociale des territoires sous domination française.
Types de Documents Disponibles :
On trouve des rapports sur des sujets variés tels que les affaires politiques, la santé, les travaux publics, l'agriculture, l'enseignement, la justice, les mines et la géologie, la météorologie, etc.
Couverture Géographique et Périodique :
Le répertoire couvre une vaste zone géographique (Sénégal, Mauritanie, Niger, Soudan français, Guinée, Côte d'Ivoire, Dahomey, Togo) et une période significative (1895-1940), incluant des années clés du développement de la confrérie mouride et de la fondation de Touba.
Importance pour le Contexte Historique :
Consulter les documents référencés dans ce répertoire pourrait fournir un éclairage précieux sur la perception et la gestion de la confrérie mouride et de son centre urbain par l'administration coloniale, notamment en termes de contrôle territorial, d'activités économiques et de dynamiques sociales. Les rapports du "Cercle de Baol" (région où se situe Touba) seraient particulièrement pertinents.
Touba apparaît comme un espace complexe, marqué par une forte identité religieuse, une organisation en quartiers lignages, un statut particulier négocié avec l'État sénégalais, et des dynamiques socio-économiques spécifiques, notamment en matière de spéculation foncière. La troisième source, bien qu'indirecte, souligne l'importance des archives coloniales pour contextualiser historiquement l'émergence et l'évolution de Touba dans le cadre de l'administration française en A.O.F. La consultation des rapports coloniaux pourrait apporter des perspectives complémentaires sur les interactions entre la confrérie mouride et le pouvoir colonial, ainsi que sur les premières phases de développement de la ville.
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