Comment l'administration coloniale française a-t-elle interprété et réagi face à Cheikh Ahmadou Bamba et au Mouridisme ?


L'administration coloniale française a initialement interprété Cheikh Ahmadou Bamba et le mouridisme avec une grande méfiance et inquiétude, les percevant comme une menace potentielle à leur autorité et à l'ordre colonial.


Voici les principaux aspects de leur interprétation et de leurs réactions :


Soupçons d'opposition et de résistance: 

Dès l'émergence de Cheikh Ahmadou Bamba sur la scène politico-religieuse en 1886 et la fondation de Touba, l'administration coloniale s'est montrée préoccupée par son influence croissante. Son lien initial avec des chefs traditionnels résistants à la colonisation, notamment Lat Dior, a alimenté ces soupçons d'une possible alliance politique et d'une résistance anticoloniale. L'administration redoutait que le mouridisme ne serve de trait d'union à la lutte anticoloniale.


Crainte d'une nouvelle guerre sainte: 

La croissance rapide du nombre de disciples (talibés) affluant vers Touba était perçue comme le signe d'une possible "nouvelle menace de guerre sainte". Les autorités coloniales craignaient tout regroupement important de populations hors de leur contrôle.


Politique de surveillance et de neutralisation: 

Face à ces craintes, l'administration coloniale a mis en place une surveillance étroite de Cheikh Ahmadou Bamba. Ils ont d'abord mené une politique d'apaisement, puis ont rapidement opté pour une politique de neutralisation au début des années 1890.


Mesures répressives: 

L'administration coloniale a ordonné la dispersion des talibés de Touba et des cheikhs intronisés par Ahmadou Bamba. Plusieurs mesures restrictives ont été prises à son encontre.

Arrestation et déportations: En 1895, Cheikh Ahmadou Bamba fut arrêté et déporté au Gabon pendant sept ans. Loin d'affaiblir son influence, cet exil a renforcé sa sainteté aux yeux de ses fidèles. À son retour en 1902, il fut de nouveau exilé en Mauritanie (Guet el Ma) de 1903 à 1907.


Résidence surveillée: Après son retour de Mauritanie, il fut placé en résidence surveillée à Thiéyène, puis à Diourbel à partir de 1912, afin de limiter ses mouvements et ses contacts. L'administration craignait que Thiéyène ne devienne un "État dans l'État".




Malentendu fondamental sur la nature du mouridisme: 

L'archiviste Oumar Ba souligne que l'administration coloniale a commis un malentendu fondamental en percevant le mouridisme comme un mouvement violent et subversif. En réalité, le mouridisme prônait les valeurs de foi, travail et discipline.


Évolution de la politique coloniale et "échanges de services":

 Au fil du temps, et particulièrement pendant la Première Guerre mondiale, la politique coloniale a évolué. Face aux difficultés politiques et économiques, l'administration de l'AOF a cherché l'appui des chefs musulmans, y compris Cheikh Ahmadou Bamba, notamment pour le recrutement de soldats. Cette période a été marquée par des "échanges de services", où l'administration accordait certaines concessions (comme l'autorisation de construire la mosquée de Diourbel) en échange du soutien de la confrérie. Paul Marty, un administrateur colonial, a contribué à modifier l'attitude française en analysant le mouridisme comme n'étant pas subversive.


Méfiance persistante envers Touba: 

Malgré ces évolutions, l'administration coloniale a maintenu une méfiance à l'égard du développement de Touba, interdisant longtemps à Cheikh Ahmadou Bamba d'y séjourner. Même après avoir autorisé la construction de la grande mosquée de Touba en 1924, cette méfiance persistait.


Surprise face au décès et à l'inhumation: 

L'administration coloniale fut prise de court par le décès de Cheikh Ahmadou Bamba en 1927 et son rapatriement à Touba pour y être enterré, conformément à ses volontés. Ils ont initialement sous-estimé les répercussions politiques de sa mort.


En résumé, l'administration coloniale française a initialement interprété Cheikh Ahmadou Bamba et le mouridisme comme une menace politique potentielle, ce qui a conduit à des mesures répressives. Cependant, leur compréhension du mouvement a évolué avec le temps, aboutissant à une politique plus pragmatique d'"échanges de services", tout en conservant une certaine méfiance, notamment à l'égard du centre de Touba.



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