Mame Ibrahima Fall et son rôle dans le Mouridisme
Ibrahima Fall (vers 1855-1930), également connu sous les noms de Cheikh Ibra, Sidy Birahim ou Mame Cheikh, est une figure religieuse et un dirigeant sénégalais de premier plan, vénéré au sein de la confrérie mouride. Bien qu'issu d'une lignée noble, il a renoncé à ses privilèges pour se consacrer entièrement à son guide spirituel, Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du mouridisme. Son rôle est considéré comme fondamental dans l'expansion et la consolidation de cette voie spirituelle.
Ascendance et Renonciation à la Noblesse :
Ibrahima Fall était issu d'une famille noble du Cayor. Il était le fils de Modou Rokhaya Fall, un érudit islamique, et de Mame Seynabou Ndiaye, et descendait de la famille royale du damel Dethialaw Atmane Fall.
Malgré cette ascendance prestigieuse et son potentiel à exercer le pouvoir traditionnel, Ibrahima Fall a choisi de renoncer aux "choses mondaines" pour se consacrer à une quête spirituelle. Selon une source, il a refusé d'être "un prince sur terre, pour être un élu dans l’au-delà."
La Rencontre Déterminante avec Ahmadou Bamba :
Sa rencontre avec Ahmadou Bamba à Mbacké Kadior au 20ème jour du mois lunaire de Ramadan de l'an 1301 de l'Hégire (vers 1883-1884) marque un tournant décisif dans sa vie.
Dès leur rencontre, Ibrahima Fall a fait acte d'allégeance à Cheikh Ahmadou Bamba, reconnaissant en lui le guide spirituel qu'il recherchait ardemment.
Ses paroles lors de cet acte d'allégeance témoignent de sa soumission totale et de son désintérêt pour les biens matériels : "‘J’ai tout abandonné, tout quitté, renoncé à tout, pour chercher un Maître qui peut m’assurer l’accès au voisinage du Seigneur […] Je proclame que, de ce bas monde, je ne veux même pas, en biens, l’équivalent du poids d’un cheveu. Mon unique préoccupation est Dieu et ma demeure dans l’au-delà.’" Cheikh Bassirou Mbacké
La Doctrine du Travail comme Action Pieuse :
Un des credos fondamentaux d'Ibrahima Fall était l'élévation du "travail productif" au rang d'"action pieuse."
Il a mis en pratique cette doctrine en développant des activités essentiellement agricoles dont les bénéfices étaient dédiés à la communauté mouride.
Son engagement dans les travaux champêtres était constant, et il a fait du travail une "doctrine chez les mourides."
Cheikh Ibrahima Fall a montré la voie de l'émergence dans de nombreux domaines, en déclenchant les leviers économiques nécessaires pour un développement viable basé sur une éthique spirituelle jëf-jël (on ne récolte que ce que l’on a semé)". Il encourageait le travail acharné et la modération des besoins, surtout en temps de crise : "‘En temps de crise économique, faites comme moi. Travaillez dur et ayez peu de besoins.’"
Rôle Central dans l'Expansion du Mouridisme :
Ibrahima Fall est considéré comme le "bras séculier, la cheville ouvrière" du mouridisme, tandis qu'Ahmadou Bamba en était "l'âme et le concepteur inspirant."
Il était un soutien financier important pour les mourides et a dédié sa vie et sa fortune à cette voie spirituelle.
Son exemple de dévouement et de service a profondément marqué la communauté mouride et a contribué à définir le "nouveau style de rapports avec le guide" basé sur le respect et la vénération.
Le Baye Fall : Une Philosophie de Vie :
Ibrahima Fall est le précurseur des Baye Fall, une branche distincte du mouridisme caractérisée par une dévotion intense à Cheikh Ahmadou Bamba, l'importance du travail et du zikr (l'évocation du nom de Dieu), et un certain désintérêt pour les pratiques rituelles formelles.
Le zikr revêt une "importance capitale chez les Baay Fall."
Être Baye Fall est devenu plus qu'un simple acte, mais "une philosophie" basée sur le travail et le désintéressement.
Sa Résidence à Diourbel (Makatoul Moukarama) :
Après le retour d'exil d'Ahmadou Bamba, Ibrahima Fall s'est installé à Diourbel, près de son maître. Sa concession, Makatoul Moukarama, est devenue un lieu important et un "quartier" de la ville portant son nom.
Il y a vécu de 1918 jusqu'à sa mort en 1930. Ce lieu était initialement un terrain vague purifié par Cheikh Ahmadou Bamba.
Makatoul Moukarama était organisée de manière rigoureuse, avec différentes fonctions attribuées à ses collaborateurs. Il y avait notamment deux cuisines, dont une pour la préparation des repas (Ndogou) destinés à Cheikh Ahmadou Bamba pendant le Ramadan. "En période de Ramadan, Mame Cheikh apportait, chaque jour, 12 bols de différents mets et un bol spécial pour Cheikhoul Khadim." (Mame Cheikh Ibrahima Fall, les secrets de sa résidence à Diourbel)
Un puits situé dans la concession, à l'emplacement de la case de sa mère, est réputé avoir des "vertus thérapeutiques." (Mame Cheikh Ibrahima Fall, les secrets de sa résidence à Diourbel)
La résidence conserve des objets personnels de Cheikh Ibrahima Fall, dont un manteau noir, une écharpe, des chaussures et une calebasse, ainsi qu'une distinction honorifique française : la décoration de Chevalier de l’Ordre de l’étoile noire (décernée en 1918).
Décès et Héritage :
Ibrahima Fall est décédé en 1930 à Diourbel et a été inhumé à Touba, auprès de son maître Ahmadou Bamba, conformément à son vœu exprimé sur son lit de mort.
La case où il a passé ses derniers jours à Diourbel a été enterrée et transformée en mausolée, devenant un lieu de pèlerinage.
Son héritage est immense. Il est vu comme "Baboul Mouridin (« la porte du mouridisme »)" et un "modèle de toute une jeunesse".
Le minaret le plus long de la grande mosquée de Touba porte son nom, Lamp Fall, symbolisant son rôle de "lumière sur le chemin du mouridisme" et celui qui a révélé la grandeur de Serigne Touba au monde.
Des cérémonies de "Sargal" (hommage) sont dédiées à Mame Cheikh Ibrahima Fall pour commémorer sa vie et ses œuvres, soulignant notamment son engagement social et son initiative de journées d'investissement humain ("set-setal"). "Nous avons organisé une cérémonie de récital du saint coran durant laquelle des prières ont été formulées pour que la paix puisse régner dans notre pays et partout dans le monde. C’était une occasion pour montrer aux jeunes le côté social de Mame Cheikh Ibrahima Fall. Je vous informe qu’il est le premier à initier une journée d’investissement humain (set-setal)."
Cinq de ses fils lui ont succédé, et aujourd'hui, la confrérie des Baye Fall est sous l'autorité de l'aîné de ses petits-fils, Serigne Amdy Khady Fall.
Cheikh Ibrahima Fall est une figure emblématique dont la vie et l'œuvre sont indissociables de l'histoire du mouridisme. Sa soumission totale à Cheikh Ahmadou Bamba, son éthique du travail, son désintéressement matériel et son rôle pionnier dans la diffusion des principes mourides en font un modèle spirituel et social dont l'influence perdure au Sénégal et au-delà. Son héritage se manifeste notamment à travers la communauté des Baye Fall, qui continue de perpétuer ses valeurs et son engagement au service du mouridisme.
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